El Houari Ghazali et « Pour la mer, une autre voix sur le pont du Rialto »

Le poète algérien El Houari Ghazali a publié un nouveau recueil de poésie intitulé « Et la mer a une autre voix sur le pont de Rialto » aux éditions Al-Aan à Amman, en Jordanie. Le recueil, qui compte environ 200 pages, est divisé en carnets poétiques classés chronologiquement et thématiquement selon différentes périodes allant de 1999 à 2019.

Le poète a présenté son recueil d’une manière différente de la tradition adoptée par d’autres poètes dans leurs ouvrages, affirmant que l’introduction ne vise pas à flatter le lecteur, mais plutôt à offrir une vision cohérente, temporelle et sociale des conditions d’écriture du recueil.

Les poèmes varient entre ceux écrits dans le village natal du poète à Darabin, situé entre Tlemcen et Sidi Bel Abbès, qu’il a regroupés sous le titre « Textes du temps de Darabin », et d’autres écrits à Tlemcen, ainsi que des poèmes rédigés à Bordeaux, la ville française où le poète s’est installé pendant la préparation de son doctorat. Les titres des sections du recueil sont les suivants : « Premiers poèmes de la fin du XXe siècle et du début du troisième millénaire », « Les voyages de la Dame de la Terre », « La paresse de la violette », « La dernière ode nordique d’Imrou al-Qays », et « Et la mer a une autre voix sur le pont de Rialto ». El Houari Ghazali explique :

« Ce recueil rassemble des œuvres poétiques écrites à différentes périodes couvrant presque vingt ans, de 1999 à 2019. L’année 1999 marque le moment où l’Algérie a commencé à apercevoir la lumière au bout du tunnel de la décennie noire, où la vie promettait des réjouissances. Pour moi, cette période représentait un tournant important, car j’avais, comme la plupart de mes pairs, jeté l’élan de ma jeunesse dans le tourbillon des blessures et des chagrins, espérant simplement que cet élan nous maintienne accrochés à nos rêves. À cette époque, la poésie, dans son désarroi surréaliste, devenait un refuge linguistique. Les voyages de la Dame de la Terre et d’autres poèmes ont été écrits pour immortaliser le non-sens et réorganiser la langue différemment. J’ai donné aux choses des noms qu’elles ne portaient pas et utilisé l’homme comme symbole pour décrire les débuts de la ruine. »

Le poète a également abordé le Hirak algérien, mouvement politique récent en Algérie où les citoyens réclament un changement radical du régime. Il considère cette période comme un moment où l’identité algérienne a pleinement découvert sa diversité et sa richesse culturelle, intellectuelle et linguistique. Il voit cela comme une opportunité pour mettre fin à l’obscurité et à la souffrance que les Algériens ont endurées pendant si longtemps. Il estime également que l’écriture littéraire prendra une nouvelle direction, peut-être similaire à celle du militantisme littéraire qu’ont connu les Algériens dans les années 1970. Il déclare :

« Bien que j’aie déjà affirmé au début de cette introduction que la poésie ne peut être séparée de la politique, j’espère que ce qui sera écrit à partir de 2019 ne ressemblera pas, dans la plupart des cas, à ce qui a été écrit pour la poésie en 1999. Peut-être que le Hirak algérien pacifique réussira à effacer les décennies noires qui oppressaient nos cœurs de douleur, d’injustice et de privation. »

L’introduction constitue une véritable clé pour comprendre les motivations du poète, qui suit la même vision présente dans son recueil « Un cœur qui sait croire » publié à Beyrouth en 2013 et son recueil « Chants des prophéties sauvages » sorti en Algérie en 2009.

L’écriture du poète se distingue par une variété de styles allant du réalisme au surréalisme, en passant par le symbolisme et le lyrisme. Il tend également vers des textes narratifs qui se concluent toujours par de la poésie, créant ainsi un mélange de poésie en prose ou de lyrisme narratif.

Dans « La dernière ode nordique d’Imrou al-Qays », par exemple, El Houari Ghazali raconte sur plus de cinq pages la découverte d’un manuscrit poétique au Yémen, rédigé en écriture nabatéenne. Ghazali suppose que ce manuscrit appartient au poète préislamique Imrou al-Qays, en se basant sur des événements décrits dans le manuscrit, qui coïncident avec l’histoire d’Imrou al-Qays, notamment sa présence à Constantinople sous le règne de Justinien, empereur de Byzance.

Dans le manuscrit, le poète chante l’amour d’une femme nommée Layla, qui semble non arabe. Son portrait reflète une certaine tristesse dans le cœur d’Imrou al-Qays, évoquant sa douleur de l’exil. Il semble que, d’après ce manuscrit, elle serait la femme près de la tombe de laquelle Imrou al-Qays aurait été enterré. Ghazali fait également référence au voyage d’Ahmed Ibn Fadlan vers le Nord, où ce dernier mentionne une histoire similaire à celle du manuscrit d’Imrou al-Qays. Cela pousse Ghazali à penser qu’Ibn Fadlan aurait pu consulter, voire voler ce manuscrit. Ce postulat a poussé le poète algérien à retravailler le manuscrit sous forme de poèmes en prose et en vers traditionnels.

Dans l’un de ces poèmes retravaillés, il écrit :

« Arrêtez-vous ! »
« Nous suspendrons les désirs du poème en pluie et en neige aux portes de la Finlande. »
« Nous accrocherons les montagnes aux épaules du désert, pour des chemins d’amour dans les yeux. »
« Les lacs, nous les offrirons aux cils de la folie. »

Il est à noter que le poète algérien est spécialisé dans l’édition critique de recueils poétiques anciens. Il a édité le recueil du poète andalou Ibn Arfa’ Ra’s et une autre édition du recueil d’Ibn Arabi. Cette expérience académique et scientifique a probablement eu une influence sur son expérience poétique.

Tayeb Ould Laroussi

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