Les villes sont des âmes : certaines faites d’amour, d’autres que nous faisons nôtres au seuil de l’absence.
Lisbonne
Entre les pages du guide touristique, je cherchais une ville qui me permettrait de respirer à nouveau, loin des artifices des grandes métropoles et des lumières artificielles des villes modernes. Je recherchais des noms, des âmes, des senteurs, un parfum qui me ramènerait à l’époque de l’arabité, à la fois absente et présente quelque part. Je cherchais une lueur pour raviver mes sens et colorer les traits de notre réalité, un éclat d’espoir pour reconstruire nos fractures, une statue au milieu des ruines. Je cherchais à me retrouver, loin de moi-même, épuisé par les nouvelles des journaux du matin, qui affirment qu’il n’y a pas de lendemain pour nous, que nous avons un jour convenu de ne jamais être d’accord. Combien avons-nous besoin de fuir un peu pour pouvoir voir à nouveau. J’ai rempli mes valises dans un désordre total, mais avec une destination bien précise en tête : le voyage, c’était Lisbonne.
Ta destination : le bonheur
Ma première destination, en descendant de l’avion, était de trouver la station de métro dans une ville qui vous pousse à poser tant de questions. Tout a commencé par une pancarte accrochée au miroir avec l’inscription : « Ta destination : le bonheur. » Cela m’a fait réfléchir, non pas si la destination allait vraiment me rendre heureux, mais sur le concept même du bonheur dans les tunnels du métro. La plupart des gens ne prennent pas l’habitude de se poser des questions essentielles, comme : « Sommes-nous vraiment heureux ? » « Comment atteindre le vrai bonheur ? » Bien que ces questions soient simples, elles nécessitent une grande réflexion. Les bureaux se sont remplis de théories diverses, notamment en psychologie, mais ils peinent à définir la signification réelle du bonheur. Sommes-nous vraiment heureux ? Comment mesure-t-on le bonheur ? Et comment juger qu’un peuple est heureux ? Est-ce en fonction du développement et de l’ordre du pays, de la préservation du patrimoine ancien, ou des rires des passants et des joies chantées à Lisbonne ? Serai-je heureux une fois mes études terminées, ou quand je trouverai un emploi, ou peut-être quand mes enfants auront grandi, ou quand je changerai de pays ? Nous pourrions vivre dans un pays technologiquement avancé, et malgré ses lumières éclatantes, notre lumière intérieure pourrait rester éteinte. À l’inverse, nous pourrions être dans un pays en retard, mais heureux malgré tout, avec toutes ses contradictions. Le véritable bonheur, malgré sa complexité, reste très simple : il réside en nous, dans notre façon de voir les choses. Il se trouve dans une tasse de café du matin avec quelqu’un qu’on aime, dans une conversation avec un ami qui nous comprend, dans les petites touches de positivité qui illuminent nos journées, dans un rêve que l’on s’efforce de réaliser, dans le don de soi sans attendre de retour. Nous pourrions être heureux, peu importe le pays où nous vivons. Le bonheur est une paix intérieure, une décision. Il réside dans le fait de vivre l’instant présent. Et alors que la voix de ma station annonçait que j’étais arrivé à Lisbonne, je suis descendu avec beaucoup d’excitation, de curiosité et d’attente.
Lisbonne, te souviens-tu encore de ceux qui sont passés par ici un jour ?
Le sentiment de nostalgie est-il toujours aussi soudain ? Tout au long de ma promenade à Lisbonne, une question me poursuivait où que j’aille : je la posais aux ruelles qui parlaient toutes les langues, aux rues ornées de toutes les civilisations successives, dans cette ville vieille de plus de trois mille ans, située sur sept collines. Lisbonne, te souviens-tu encore de ceux qui sont passés par ici il y a longtemps ? Ce sentiment de nostalgie existe-t-il toujours pour ceux qui ont traversé ces lieux pendant cinq siècles entiers ? Existe-t-il encore une nostalgie pour la Porte du Détroit, la Porte d’Alfama, la Porte de la Mer, la Porte du Bain, la Porte du Cimetière et la Porte du Soleil, où tant d’amoureux se sont rassemblés à la recherche d’eau, de jasmin et de vie ? Te souviens-tu de ceux qui ont marqué l’histoire, comme Tariq ibn Ziyad, Abd al-Rahman al-Awsat, Musa ibn Qasi et tant d’autres qui ont laissé leurs empreintes, leurs sentiments et leurs victoires dans les villes de l’humanité successive ? Ils ont imprégné ces lieux de leur parfum qui se répand encore dans l’air, à travers la mosaïque, l’arabité, l’amour et la paix. Que la mer soit témoin des histoires humaines scellées par des couronnes de silence, qui ont besoin de retrouver leur éclat dans ce bleu vibrant.
Est-ce que « Alfama », ce quartier qui porte encore le nom donné par les Arabes, continue de briller avec les âmes de ceux qui y sont passés ? Se purifie-t-il encore avec la générosité et se parfume-t-il avec la langue de l’arabe, qui a introduit plus de trois mille mots dans la langue portugaise ? Au milieu de la Grande Mosquée et de la Kasbah, leurs traces sont encore visibles et profondes dans chaque ruelle, même dans les sourires de ton peuple bienveillant, où les coins des rues, les cafés, les tavernes et les balcons ornés de guirlandes de fleurs restent des lieux de rencontre pour échanger des discussions et partager le pain du matin, loin du tumulte de la technologie et avec un éclat du charme de l’Orient.
Là-bas
Là-bas, dans chaque ruelle, l’aube sourit chaque matin, et les cordes à linge suspendues sur les balcons nous racontent des histoires d’amour éternelles. En arpentant les rues de Lisbonne, je me suis souvenu d’un roman que j’avais lu il y a des années, « La Nuit de Lisbonne » de l’écrivain Erich Maria Remarque, un ouvrage rempli de profondes réflexions philosophiques. Le héros du roman, en fuite de la guerre nazie, portait sa mémoire épuisée au milieu de la destruction et de la solitude, tandis que l’amour était la seule chose qui le rattachait à la vie. Il découvrit alors une nouvelle partie de lui-même, face à un dilemme : soit il se rendait à la mort pour mourir une seule fois, soit il vivait pleinement pour renaître des milliers de fois. Combien d’histoires as-tu été témoin, Lisbonne ? Tes cordes à linge gardent-elles encore les récits des amours arabes ? Sont-elles terminées aussi tristement que la plupart de nos histoires ? Ou bien cherches-tu encore des descendants pour entreprendre le voyage à travers les rues pavées, les carreaux de faïence ancienne, les murs des vieilles maisons, les confidences des vieillards, la poussière des livres, et le silence mystérieux des tableaux fuyant le seuil de l’histoire pour écrire les plus belles histoires d’amour arabes.
Au son du Fado
Une voix triste m’appelait au loin, me faisant me retourner à plusieurs reprises. Une voix irrésistible qui me rappelait quelque chose de lointain, une quête profonde en moi pour le retrouver dans ma mémoire. C’était le Fado, ce mélange de sonorités africaines, andalouses arabes et portugaises. Le Fado, qui signifie « le destin », est l’âme des passants. Par ce chant, ils exprimaient leurs destins, leurs douleurs, leurs souffrances et leurs espoirs à travers des notes musicales. Ses thèmes évoquent principalement les vagues de la mer, la pauvreté, les pertes et les révoltes des peuples. Les paroles du Fado n’ont pas besoin de dictionnaires pour être comprises, il suffit de les ressentir. C’est le langage de l’âme, mêlé aux murmures des lieux. À chaque pas, tu respires l’histoire et la civilisation, tu sens l’odeur de l’humain. Cela en fait une musique imprégnée de fatigue et de citron, dédiée aux travailleurs et aux migrants, en quête de leur pays et d’eux-mêmes.
Le Fado est comme la corde sensible du cœur, venant des profondeurs des quartiers les plus anciens de Lisbonne. C’est une échappatoire, une tentative d’oublier la réalité quotidienne. Étaient-ils vraiment pauvres, ces chercheurs de beauté, ces âmes éperdues ? Selon les sources historiques, oui, mais combien la culture s’est-elle enrichie grâce à eux !
Lisbonne m’a fait marcher sans m’arrêter, sans ressentir la fatigue, comme si je marchais entre les lignes du passé et du présent en même temps, jusqu’à atteindre Sintra, la ville des palais légendaires et des châteaux, nichée au cœur des montagnes. Appelée par les Romains « les montagnes de la Lune », elle était le refuge des nobles et de la famille royale. Te souviens-tu de ceux qui ont essayé de gravir tes sommets à la recherche de la beauté et de la liberté ? Par ton charme, poètes, écrivains, silencieux, révolutionnaires et vaincus ont écrit leurs récits. Ceux qui ont triomphé de toute leur âme ont laissé refléter l’odeur de l’ancien patrimoine arabe et maghrébin dans Sintra. Au cœur de Lisbonne, tu n’as pas besoin de guide touristique. Tous les lieux te sont ouverts, car tu es au milieu d’un musée vivant. Tu te promènes parmi ses nombreux palais et te perds dans ses ruelles, écrites de la main même des récits humains.
Par Ouarda Bougaci